L'Amour avec des Gants

Maurizio est un bruiteur de dessins animés timide et rêveur qui partage en alternance le studio d’enregistrement de son frère Patrizio, spécialisé dans le doublage de films érotiques. Martina se décrit comme assistante sociale et accomplit les fantasmes de sa clientèle : jouant tour à tour la mère aimante d’un professeur retombant en enfance, l’infirmière réconfortante auprès d’un couple dont l’un des conjoints fait le mort à tour de rôle, la victime terrifiée d’un chauffeur de taxi à la conduite dangereuse ou celle d’un voleur qui adore se faire insulter, la jeune femme de nature romantique enchaîne les prestations en croyant de moins en moins à l’amour.
Le hasard va faire se rencontrer ces deux âmes solitaires ; Maurizio se retrouve entraîné dans les activités de Martina, à la plus grande joie des clients qui se déclarent déçus la fois suivante en constatant que la jeune femme est seule. Cette dernière se met en tête de retrouver Maurizio pour conserver son travail tandis que le principal concerné, entretemps tombé amoureux, commence à se transformer en personnage de dessin animé.

Principalement connu des amateurs de films d’animation en tant que coscénariste et interprète principal du long-métrage Allegro Non Troppo (1976), Maurizio Nichetti est un auteur à multi-facettes.
Comédien de théâtre, mime, formé aux métiers du cinéma par le maître du dessin animé italien Bruno Bozzetto, il signe en 1979 un premier long-métrage, Ratataplan, dont le burlesque convoque l’esprit de Charlie Chaplin, Laurel et Hardy, Buster Keaton et Jacques Tati ; ce premier succès le place parmi les auteurs à suivre dans le domaine du cinéma comique. Après deux autres films au succès moindre, il étend ses activités à la télévision, entre publicités et émissions de variété. C’est avec la somme de toutes ses connaissances qu’il réalise Le Voleur de savonnettes (1989) dans lequel un film en noir et blanc est constamment interrompu par des publicités en couleurs qui en modifie le cours du récit. Ce nouveau succès critique et public allié au triomphe parallèle de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (1988) pour Robert Zemeckis va permettre la mise en chantier de L’Amour avec des gants, un projet mêlant dessins animés et acteurs réels élaboré dès 1982 et que les producteurs italiens estimaient irréalisable. Le tournage, situé à Milan, dure 45 jours durant l’été 1990 avant de faire passer les images au banc-titre de Guido Manuli, autre grande figure de l’animation italienne, qui se charge des parties dessinées.

Véritable hommage au cartoon, L’Amour avec des gants préfigure de 3 ans le film The Mask avec Jim Carrey dans l’idée du "toon intérieur qui désinhibe le protagoniste timide". À ceci près que Nichetti ne fournit aucune explication quant à la métamorphose de son personnage et que le monde qu’il met en scène s’entremêle d’emblée avec la logique du dessin animé. Il y a d’abord la fantaisie de Maurizio au travers de son travail de bruiteur mais aussi de son quotidien où son mutisme laisse place aux bruitages déclenchés par ses mouvements (à cause des accessoires dont ses poches sont remplies). Avant même que la transformation proprement dite en cartoon ne commence, la contamination est déjà mise en scène dans différentes séquences mémorables : on voit ainsi le personnage se préparer un repas avec un projecteur Super 8 détourné en matériel de cuisine ou projeter un film érotique confié par son frère dans lequel, en lieu et place du doublage attendu, il a ajouté ses habituels bruitages de dessins animés loufoques, vidant ainsi le résultat de toute sensualité.
De son côté, Martina se plie à des fétichismes sexuels dont le caractère insolite confère au récit une tonalité surréaliste. Mais là où un réalisateur comme Jan Švankmajer va explorer cette thématique avec un humour grinçant et dérangeant dans son film Les Conspirateurs du plaisir (1996), Maurizio Nichetti aborde la chose avec légèreté, dans une atmosphère bon enfant. Angela Finocchiaro, actrice d’ordinaire abonnée aux rôles comiques, porte véritablement ces scènes entre rire, lassitude, colère et dépit, tout en affichant sa nudité avec un naturel confondant ; le réalisateur s’attache à faire de sa muse une femme sensuelle dans sa banalité, éloignée des canons de beauté cinématographiques. Et si le dessin animé est mis en scène au service du gag, il est surtout traité comme point de jonction entre deux personnages marginaux qui se révèlent et finissent par trouver leur place dans le monde. Au milieu de ce déploiement entre comédie burlesque et récit intimiste ponctué de références animées (notamment Popeye), seule la musique de Manuel De Sica entache le tableau avec ses synthétiseurs sirupeux qui datent sévèrement le film.

L’Amour avec des gants recevra à sa sortie un accueil élogieux – les plus chauvins y voyant là la réponse italienne à Roger Rabbit – malgré quelques critiques mitigées. Maurizio Nichetti enchaînera en 1993 avec Stefano Quantestorie, film dont le scénario fait se cohabiter les différents destins du personnage principal, prouvant une fois de plus son envie d’explorer de façon ludique les spécificités du cinéma.